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[Entretien] Aurélien Pradié : « Aux Républicains, j’assume de mener une révolution de l’intérieur »

Pour avoir chahuté son camp pendant la réforme des retraites, Aurélien Pradié a laissé quelques plumes, se voyant retirer son titre de vice-président des Républicains par Éric Ciotti. Le député du Lot n'en démord pas et compte peser dans la reconstruction du corpus idéologique de sa famille politique. Entretien.



Aurélien Pradié veut "reconnecter la droite avec la vie des Français". © LE TELLEC STEPHANE/ABAC



Comment sortir d’une crise politique et sociale qui demeure ?

L’heure est au sursaut politique et démocratique. Ignorer les effondrements massifs que subit notre pays serait irresponsable. L’orgueil d’Emmanuel Macron n’a plus de place dans ce moment. Nous devons retrouver l’apaisement et le dialogue, et n’éviter aucun sujet, y compris celui de la rénovation de nos institutions. Le référendum doit devenir un outil à part entière de gouvernement de la République. Il faut le moderniser, le rendre plus facile d’accès. Je ferai des propositions en ce sens. Être attaché à nos institutions oblige à les rénover.



Certains vous diront que c’est aussi la défaite d’une Assemblée au pouvoir retrouvé, qui n’a jamais réussi à peser...

Le Parlement a perdu une forme de tempérament politique, cette manière de tenir bon, de parler haut sans pour autant basculer dans la vulgarité, de respecter ses engagements quitte à “secouer le Landerneau”. C’est ce que nous avons essayé de réhabiliter avec certains de mes collègues lorsque nous sommes allés au bout de nos convictions en votant la motion de censure. On nous a perçus comme des frondeurs, mais nous avons rendu un grand service à la droite en ne basculant pas.

Le message est clair : nous n’abandonnerons pas la voix de la France populaire aux imposteurs des extrêmes. C’est à une droite courageuse de la défendre.



Ce n’est pas vraiment le message transmis par votre parti...

Non, mais c’est le mien, et celui d’un nombre de plus en plus important de mes collègues LR. Certains y ont vu une “aventure individuelle”. Force est de constater que cette aventure est devenue si collective qu’elle a empêché le gouvernement de s’appuyer sur une majorité établie pour faire voter sa réforme. J’assume de mener une révolution de l’intérieur : pour que la droite retrouve ses repères et ne se perde jamais dans les méandres d’un macronisme finissant.



Cette aventure vous a coûté votre place de vice-président des Républicains. Comprenez-vous la décision d’Éric Ciotti ?

Ma ligne de conduite a été claire depuis le départ. Je n’ai pas varié. J’ai défendu la valeur du travail en menant la bataille des carrières longues. Je n’ai ni plié ni cédé aux menaces en tous genres. Perdre un poste pour ses valeurs, ce n’est pas une faiblesse. J’ai trouvé la décision injuste mais au final, elle a servi ma liberté de porter pleinement mes convictions.



Avez-vous songé à quitter le parti durant cette période ?

Si tout était à refaire, je ne changerais rien. Rien, car j’ai tenté jusqu’au bout de démasquer les incohérences et mensonges du gouvernement. Sur les 1 200 euros de retraite minimale comme sur les carrières longues, la suite nous a donné raison : la tromperie était éclatante. Rien, car notre combat a permis aux Républicains d’être, entre le mutisme du RN et les énergumènes de la Nupes, le porte-parole d’une cause juste, celle de l’effort et du travail, qui a rallié tous les groupes parlementaires, y compris au sein de la majorité.


Ces deux mois de débats ont été rudes mais ils m’ont beaucoup forgé. J’ai évidemment eu des doutes, pourtant je ne crois pas à la réussite en dehors du parti. L’étape la plus difficile de mon engagement consiste désormais à changer notre mouvement de l’intérieur. Et à le faire collectivement. Les adhérents des Républicains sont très nombreux à l’espérer. Il nous faut leur donner un espoir, à eux comme à tous les Français.



On ne passera pas de 5 à plus de 50% sans casser un peu de vaisselle. Notre famille politique ne peut plus se permettre d’ignorer la rupture salutaire qui s’annonce.


Vous vouliez aussi prendre une revanche contre la “vieille garde” du parti ?

La seule revanche qui anime mon engagement politique est de déjouer la fatalité, celle qui a frappé mon père après qu’il a travaillé dur toute sa vie. Je ne serais pas là aujourd’hui si je n’en avais pas personnellement bavé et n’étais pas convaincu qu’on a besoin d’idéal pour traverser les orages. Cela vaut pour chacun, comme pour un pays. Cet idéal, c’est la Politique. Beaucoup de mes collègues qui ont rejoint notre bataille pour les retraites ne sont ni mes proches ni mes amis ni même de ma génération. Il ne faut pas réduire cela à une affaire générationnelle. C’est une refondation plus profonde.



Une refondation – ou une “révolution” – voulue par une minorité chez Les Républicains...

On ne passera pas de 5 à plus de 50 % sans casser un peu de vaisselle. Notre famille politique ne peut plus se permettre d’ignorer la rupture salutaire qui s’annonce. Souhaitons-nous

devenir les béquilles d’Emmanuel Macron en espérant en être les illusoires héritiers électoraux ? Ou cherchons-nous à incarner un nouveau projet de société, celui d’une droite populaire qui s’adresse à tous et redresse le pays ? Reconnecter la droite avec la vie des Français est ma seule boussole.



Patrick Buisson appelle à une « révolution culturelle » qui fasse de la droite autre chose que le « simple syndic des intérêts catégoriels des classes favorisées ». Partagez-vous son analyse ?

Totalement. Il faut revenir au peuple. Est-ce que pour autant les théories de Buisson sont celles qui permettent ce retour ? J’en suis moins convaincu. Lui comme Zemmour, en intellectualisant tout, se sont coupés de la réalité. Ils ont négligé l’impact des blessures quotidiennes des Français : salaire, pouvoir d’achat, éducation, accès à des services publics de qualité, handicap... La question est de savoir comment parler de nouveau à ces Français.

Notre combat pour les carrières longues n’est pas qu’une lutte sur la question des retraites, il permet aussi de mettre en avant l’effort et le travail, la pénibilité dans certains métiers, la formation, etc. En soi, la justice sociale. De même que la proposition de Nicolas Sarkozy de défiscaliser les heures supplémentaires en 2007 permettait de toucher du doigt une réalité bien plus large. D’une mesure, il a porté un projet national, celui du travail.



On doit inverser la petite musique qui veut faire croire que, dans une période où les repères ont disparu, la seule solution réside dans les extrêmes.


Cela implique donc de convaincre une partie de l’électorat

de Marine Le Pen ?

La séquence des retraites a démontré que Marine Le Pen est une escroquerie. Les députés RN sont restés cachés durant tous les débats. Il faut le dire à leurs électeurs et à ceux qui, parmi les abstentionnistes, seraient tentés par ce vote. On doit inverser la petite musique qui veut faire croire que, dans une période où les repères ont disparu, la seule solution réside dans les extrêmes. Pourquoi les Français qui souffrent d’un sentiment de déclassement généralisé ne pourraient-ils pas retrouver confiance en la droite républicaine ?



Cette “droite républicaine” devrait-elle s’inquiéter de voir son candidat potentiel, Laurent Wauquiez, être crédité de moins de 10 % d’intentions de vote dans les récents sondages pour 2027 ?

Il peut se passer beaucoup de choses d’ici à 2027... Les sondages sont autant d’alertes qui nous rappellent l’ampleur de la tâche qui nous attend. J’espère que Laurent Wauquiez mesure ce qu’il a devant lui. Pour le moment, je ne peux pas le juger. Seul son projet politique nous déterminera.



Vous organisez une grande conférence sur le travail prochainement. C’est ça “votre” projet politique ?

Nous devons travailler à un corpus idéologique autour de cette France populaire que nous sommes nombreux à défendre. Nous allons donc réunir des femmes et des hommes qui pensent de manières différentes pour analyser le rapport que les Français ont au travail. Il a changé et il faut l’appréhender. Le cœur du sujet aujourd’hui, c’est travailler mieux, pour travailler plus. N’ayons pas peur d’ouvrir cette réflexion et de nous donner des perspectives nouvelles.

La jeune génération souhaite une autre organisation de la semaine de travail. Je continue de penser qu’il faut aller au-delà des 35 heures mais sur un temps mieux aménagé. Philippe Séguin parlait de “Munich social” pour lancer un électrochoc à une droite qui n’osait plus. Aujourd’hui la droite vit un “Munich intellectuel et politique”, elle s’habitue aux changements de notre pays sans avoir la force de changer son projet. Pour que nos valeurs aient de l’avenir, ayons des idées audacieuses.



Si tout était à refaire, je ne changerais rien. Rien, car j’ai tenté jusqu’au bout de démasquer les incohérences et mensonges du gouvernement.


Votre camp est attendu au tournant sur l’immigration. Craignez-vous que les Républicains cèdent aux tentatives de séduction du gouvernement ?

Le ministre de l’Intérieur et le président de la République ont abandonné l’ambition d’un grand texte sur l’immigration. C’est déjà une faillite. Nous devons soutenir tout ce qui permettra d’inverser clairement le flux migratoire. Surtout, la droite va devoir se pencher sur le cœur de ce texte : l’immigration liée au travail. Notre politique migratoire doit reposer sur deux conditions fondamentales : une maîtrise parfaite et totale de la langue française, et le travail comme moyen d’assimilation. À ces conditions, nous devons ajouter un salaire minimal requis. Il faut que demain on ne puisse ni régulariser ni faire venir quelqu’un qui n’occupe pas un travail qualifié, rémunéré au-delà du Smic, par exemple deux fois le Smic. Cela fonctionne au Danemark.

Nous devons passer d’une immigration familiale sous-qualifiée subie, qui tire vers le bas les salaires et les conditions de travail de certains métiers, à une immigration du travail qualifié, qui réponde aux besoins de notre pays et permette aux travailleurs concernés de trouver toute leur place dans notre société. Un salaire minimal imposé, c’est également l’assurance de l’indépendance matérielle et donc de l’intégration du demandeur et de sa famille. C’est essentiel pour que l’immigration rapporte davantage qu’elle ne coûte à la France.



Un défi nous attend : redonner de la dignité aux Français et à notre démocratie. Le besoin de Politique n’a jamais été aussi grand.


Que ce soit à Sainte-Soline ou dans les cortèges contre la réforme des retraites, l’opposition contestataire passe désormais par la violence. Pour se relever, la droite doit-elle aussi incarner le “parti de l’ordre” ?

Notre pays vit désormais sous le règne de la violence généralisée. Emmanuel Macron a contribué à cette situation. C’est la défaite d’un président qui a théorisé la fracturation comme méthode de gouvernement. Cette violence est partout. Je ne parle pas des violences des voyous, facilement identifiable et qui doit être combattue sans relâche. Mais d’une autre violence, qui a dépassé la colère. Elle s’exprime lors des manifestations en province, comme au cœur de notre démocratie, lorsque le gouvernement refuse de rendre des comptes à la représentation nationale. Pour feindre d’ignorer cette colère, nos dirigeants ont trouvé des “idiots utiles” : les agitateurs d’extrême gauche. Tout cela participe à une perte de dignité collective, à cette accumulation de blessures profondes, sociales, économiques, culturelles. Un défi nous attend : redonner de la dignité aux Français et à notre démocratie. Le besoin de Politique n’a jamais été aussi grand.



À Sainte-Soline, les débordements n’ont-ils pas éclipsé un sujet majeur des prochaines décennies, celui de la gestion de l’eau ?

C’est en effet un sujet essentiel pour l’avenir. J’appelle à ce qu’on fasse de l’eau un véritable projet politique. L’eau a une place particulière dans notre civilisation, nous avons un rapport quasi sacré avec elle. Cessons de la négliger. Comment peut- on refuser que l’on stocke de l’eau de pluie tombée en hiver pour irriguer nos cultures toute l’année ? C’est une absurdité totale. Les intégristes décroissants veulent affaiblir un pan entier de notre économie : notre agriculture. Pour moi, l’agriculture est une ambition nationale.

La deuxième question est celle du retraitement des eaux usées. Nous en retraitons moins de 2 % là où les Espagnols le font à près de 40 %. Il y a une source d’innovation majeure. Le président de la République ne l’a pas compris. Ses dernières annonces sur la rénovation de quelques réseaux d’eau potable relèvent du bricolage. Nous avons un chantier extrêmement ambitieux à proposer. L’eau peut être un projet pour la nation.



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